Claude Javogues -1759-1796-


 

D'après F. Gonon , Un Forézien célèbre.

Biographie Générale .Edition de 1938.

 

 

 

Maison de famille du sieur Claude Javogues située à  Bellegarde -en -Forez.

 

 

 

 


 

 

Ci- contre le portrait de Javogues par E .Tournaire

 

      " C'est un avocat de Valence

        Longue robe courte science !"

 

 

Gloires et Renommées, voilez vous la face !

La  Plaine Forézienne a connu la "Terreur" !

Javogues est passé, laissant partout sa trace,

Entraînant avec lui la ruine et le malheur!


 

       C'est un personnage si célèbre dans notre région, que son nom se retrouve encore de nos jours, dans les expressions familières : « faire le Javogues » ou « espèce de Javogues ». Comme tout acteur de la révolution, il a ses partisans et ses détracteurs. Nous essaierons donc, tout en relatant les faits saillants de son existence, d'apporter les témoignages de gens qui l'ont connu ou approché. De la sorte, chaque lecteur pourra se faire une idée de l'homme et le juger avec le plus d'objecti­vité possible.

 

Claude Javogues naquit le 10 août 1759, à Bellegarde-en-Forez, petit village proche de Montrond (6 km) et situé sur le coteau, à la limite de la plaine forézienne. A l'heure actuelle, la route qui mène à Lyon traverse la localité mais le centre avec l'église et la mairie n'en est pas affecté et il y règne le même calme qu'a dû connaître notre personnage. Sa maison natale, quoique beaucoup remaniée, subsiste avec, à l'entrée, un fronton orné d'un cheval ailé surmonté d'une corniche avec 2 grosses boules de pierre et une tête centrale. Sur les montants, on relève une date : 1656.

 

La famille de Claude Javogues appartenait à la bonne bourgeoisie. Son père, Rambert Javogues, était notaire royal, avocat au Parlement, vice-gérant de la Châtellerie de Feurs et garde-marteau des Eaux et Forêts, c'est-à-dire qu'il avait la garde du marteau qui servait à marquer les arbres à abattre de la forêt royale. Il possédait, en plus de la maison de Bellegarde, plusieurs domaines et une belle demeure à Montbrison.

 

Sa mère se nommait Jeanne-Marie Coignet. Originaire de Saint-Chamond, elle était en même temps la nièce d'un prêtre de Bellegarde-en-Forez, ce qui expliquerait qu'elle ait pu faire connaissance de son futur mari.

 

Claude était l'aîné d'une famille nombreuse : huit enfants dont on retrouve la trace sur les registres paroissiaux. Sur son enfance et sa jeunesse, on ne possède aucun renseignement valable. On parle de ses études médiocres, de son caractère emporté mais tout cela relève de la légende et non de l'histoire.

 

Il apparaît certain qu'il partit de Bellegarde, vers sa douzième année, pour aller au Collège à Montbrison. Puis, vers 18 ans, il entra comme clerc chez un Procureur de cette ville. Il s'inscrivit ensuite à l'Université de Valence pour acquérir une licence en droit. Il l'obtint, en juillet 1785, c'est-à-dire à l'âge de 26 ans, ce qui pour l'époque était peu reluisant, d'autant plus que l'Université de Valence, passait pour délivrer facilement les diplômes. Dans son livre sur Javogues, François Gonon rapporte le dicton :

 

                     C'est un avocat de Valence ,longue robe courte science !

 

Dès septembre 1785, il est admis dans l'ordre des Avocats de la e de Montbrison. Et, c'est là, que pendant 7 ans il va exercer sa profession. On le dépeint à cette époque comme un homme de petite taille, assez infatué de lui-même, avant déjà une tendance à l'intempérance. Il est sûr qu'il ne fut pas un avocat en renom et cela contribua peut-être à aigrir son caractère.

 

Au moment des élections aux Etats-Généraux, alors que nombre de ses confrères firent parler d'eux, jamais on ne mentionna son nom.

 

Au cours de l'année 1789, il devint cependant Commandant de la Police nocturne, et, en 1791, il fut nommé administrateur du district de Montbrison.

 

L'année 1792 marqua  le  tournant de  son  existence. En  effet, le 10 septembre avaient lieu des élections importantes. Il s'agissait lire les 15 députés du département de Rhône et Loire. Javogues se présenta aux suffrages et fut élu l'avant-dernier de la liste avec 480 voix sur 880 votants, le nombre des citoyens actifs, c'est-à-dire pouvant voter, avoisinant les 2.350. La lecture de ces chiffres peut surprendre mais on retrouve les mêmes proportions dans la France entière. Tout avait été mis en œuvre par l'aile marchante de la Révolution pour empêcher les électeurs « mal-pensants » de se présenter aux urnes : suppression du vote secret dans 10 départements, suspension de la parution des journaux modérés, bandes armées patrouillant autour desbureaux de vote...

 

Aussitôt élu, Javogues partit pour Paris et siégea à la Convention. Là, il prit place sur les bancs de la Montagne. II ne prononça pas de discours à l'Assemblée et, il fallut attendre la fameuse séance du 21 janvier 1793 où les députés se prononcèrent sur le châtiment à donner à Louis XVI, pour l'entendre déclarer : « Pour préserver les âmes pusillanimes de l'amour de la tyrannie, je vote pour la mort dans les 24 heures ».

 

De la sorte, Javogues devint un régicide. Lorsque la nouvelle fut nue à Montbrison, elle indigna profondément une partie de la population. Aussi, pour lui infliger un affront, de nuit, on barbouilla de sang de boucherie le portail de la maison qu'il habitait, rue du Palais-de-Justice. Naturellement, Javogues ne manquera pas de s'en souvenir lorsqu'il reviendra dans cette cité.

 

A la Convention, après la mort du Roi, le combat reprit, mais cette fois-ci les adversaires étaient d'une part les Girondins modérés et d’autre part les Montagnards. Le « Moniteur » rapporte que dans une séance orageuse entre les deux partis, fin mai début juin 1793, on vit Javogues, un pistolet à la main, prêt à assassiner deux Girondins qui étaient par ailleurs armés eux aussi. La monotonie ne devait pas régner dans l'Assemblée !

 

 

 

Les Girondins furent rapidement éliminés et, le 30 juillet 1793, un décret de la Convention nommait Javogues, assisté de deux collègues, Commissaire dans les départements de l'Ain, de la Saône-et-Loire et de Rhône et Loire. Cette nomination lui conférait les pouvoirs les plus étendus. Notre député se rendait aussitôt à son poste de Mâcon, mais il y restait peu de temps car la ville de Lyon s'était révoltée contre la Convention dans des circonstances que M. Parizot a développées dans « Gerval » n° 1.

 

Javogues partit donc au Quartier Général de l'armée qui assiégeait la ville afin de diriger les opérations avec ses collègues. Mais, l'insurrection faisait tache d'huile : Saint-Chamond, Montbrison et Saint-Etienne étaient aux mains des troupes royalistes. Les représentants républicains divisaient alors le département en deux parties : celui du Rhône et celui de la Loire avec Feurs comme chef-lieu. Javogues était chargé, avec le Général Valette, d'aller chercher des recrues républicaines dans le Forez et de capturer les Royalistes qui avaient trouvé un excellent Général en la personne de Rimbert, autrement dit le Chevalier de la Roche-Négly.

 

Après le sanglant combat de la ferme des Flaches, Saint-Chamond était déjà libre de toute troupe royaliste. Et, dès le 7 septembre 1793, Javogues y rentrait avec ses hommes. Sur ceux-ci, on a un témoignage précieux, c'est celui de Couthon, ami de Robespierre, dont nous reparlerons plus loin, il écrivait : « Depuis que Javogues est en mission, il s'est toujours entouré de brigands et de scélérats ».

 

Il ne s'arrêta pas longtemps dans notre ville, tout occupé qu'il était à la poursuite de Rimbert. Sans doute, reçut-il la visite de son frère Gaspard Javogues qui travaillait comme commis à Saint-Chamond, à la Maison Dugas-Praire et Cie et qui était membre de la Société des Amis de la Constitution de notre Cité depuis 1791. La Chapelle des Pénitents de l'église Saint-Pierre abritait cette société qui passait pour compter dans ses rangs les révolutionnaires modérés. Les plus avancés se réunissaient dans la Chapelle des Pénitents de l'église Notre-Dame.

 

Javogues continua donc sa route par Saint-Etienne, Montbrison, Au passage, il procédait à des arrestations, mettait des biens sous séquestre mais la colonne royaliste lui échappait toujours. A sa décharge, signalons que sa mère et son oncle Gaspard avaient été emmenés en otage par la troupe de Rimbert qui essayait de gagner la ville de Lyon encore invaincue. Le 12 septembre au matin, Javogues arriva à Montrond, là encore, les muscadins avaient devancé son arrivée. De rage, il mît le feu au château et continua sans plus attendre sa poursuite. Dans la nuit du 12 septembre, il arriva sous les murs de Chazelles-sur-Lyon. Là, se trouvait une cinquantaine de soldats de Rimbert qui escortait des voitures chargées de nourriture pour la ville de Lyon ou transportait des femmes et des enfants fuyant l'arrivée des Républi­cains. Cette colonne royaliste était commandée par M. de Nicolaï. Rim­bert, avec le gros de la troupe (550 hommes) avait déjà pris le large.

 

La ville fut donc encerclée sans bruit, puis investie par les troupes républicaines qui massacrèrent la plus grande partie de la petite troupe. Javogues publia un bulletin de victoire qu'il adressa au Comité de salut Public le 17 septembre. Et, curieusement, il arrêta là les hostilités laissant échapper la plus grande partie de l'armée des Lyonnais. Ses ennemis lui reprocheront plus tard cette négligence.

 

Les jours suivants, il réorganisait l'Administration dans tout le département : renouvellement des municipalités, désignation des Commissaires, installation des comités de surveillance. Il levait aussi une armée révolutionnaire composée de volontaires, elle lui était entièrement dévouée et servira à toutes ses entreprises. Enfin, il instituait un tribunal révolutionnaire pour juger les suspects. Le 28 septembre, il en fixait provisoirement le siège à Saint-Chamond qui avait eu selon lui le conduite plus républicaine que les autres villes lors de l'affaire des Lyonnais. Mais, dès la fin d'octobre, ce Tribunal était déplacé à Feurs où il devait rester jusqu'à la fin de la Terreur. Il changeait également les noms des villes : Saint-Chamond devenait Val Rousseau, Saint-Etienne : Armeville et Montbrison : Montbrisé. Il en voulait particulièrement à cette ville dont il avait eu à se plaindre précédemment, aussi, le 29 octobre, prenait-i! deux arrêtés à son encontre :

 

Article 1. — Toutes les murailles et fortifications qui entourent la ville de Montbrison seront rasées.

 

Article 2. — II sera élevé sur leurs débris une colonne portant cette inscription : la ville de Montbrison fit la guerre à la liberté, elle n'est plus.

 

Javogues organisait aussi la délation : les dénonciateurs seraient payés, celui qui arrêtait un prêtre réfractaire ou un émigré recevait 100     livres.  Les  résultats ne  se  firent  pas  attendre  et   les  suspects allaient affluer. D'ailleurs, Javogues donna  l'exemple puisqu'il dénonça au Comité de surveillance 39 personnes pour le seul canton de Montbrison.

 

Une lettre du Comité de salut public envoyée le 30 octobre 1793 lui donna l'ordre de se rendre en Saône-et-Loire et dans les départements limitrophes pour  y   organiser l'Administration révolutionnaire. C’est seulement aux environs  du  21 novembre  qu'il arriva à Mâcon. Ensuite il se rendit à  Bourg. Partout, il se comporta comme dans la Loire : visites domiciliaires, biens  mis  sous  séquestre, arrestations...

 

Les plaintes contre lui furent si nombreuses que la Convention envoya un autre député pour enquêter et calmer la population. Un décret du Comité de salut public annula les arrêtés qu'il avait pris. Et Javogues revint dans son pays natal, le caractère plus aigri que jamais.

 

C'est de ce séjour que date le premier témoignage sur notre personnage. En effet, le poète Lamartine rapporte que sa mère serait venue trouver le proconsul alors qu'il séjournait à Dijon. Son enfant dans les bras, elle voulait intercéder en faveur de son mari emprisonné comme suspect. Javogues aurait pris le jeune garçon sur ses genoux comme Madame de Lamartine montrait sa frayeur, il lui aurait pondu : « N'aie pas peur Citoyenne, les représentants ont des enfants eux aussi ; ton fils est beau, tâche d'en faire un bon citoyen ».

 

Faisons maintenant un léger retour en arrière. Avant son départ pour Mâcon, une commission de justice populaire avait été installée le 7 novembre 1793, à Feurs, sous la présidence de Javogues. Son siège se trouvait à la Chapelle des Pénitents de cette ville. Cela était d'autant plus pratique qu'elle était contiguë à l'Hôtel Gaudin où Javogues avait élu domicile. C'est une belle maison bourgeoise qui abrite à l'heure actuelle la cure. On peut y voir encore le bureau où notre personnage interrogeait les suspects et les jugeait. Un mur entier est occupé par une bibliothèque d'époque, deux autres murs sont décorés par des peintures champêtres inspirées sans aucun doute des idées de Rous­seau très en vogue à l'époque révolutionnaire. Un grand couloir mène à la sortie, les suspects y avaient tracé à la hâte des graffitis. Ces derniers ont disparu, recouverts par une couche de peinture neuve. Mais on nous a assuré qu'avant la réfection, des clichés avaient été pris de ces inscriptions, clichés qui se trouveraient à la Diana.

 

A Feurs, tout était donc en place pour que les actes révolutionnaires succèdent aux paroles. Il manquait pourtant l'essentiel : la guillotine. Dès le 10 novembre, le citoyen Vial annonçait qu'il avait commandé « l'outil national, autrement dit la sainte guillotine, et qu'il avait fait faire la charpente ». La fabrication devenait urgente car la prison (elle aussi à côté du domicile de Javogues) était pleine et les juges s'impatientaient de ne pas avoir l'instrument nécessaire à l'exécution de leurs sentences. Enfin, dans la nuit du 21 au 22 novembre, l'instrument arrivait, triomphalement escorté par 2 compagnies de la garde nationale, l'une de Rive-de-Gier et l'autre de Saint-Chamond. Comble de dérision, on l'installa sur la place de l'Eglise juste en face de l'arbre de la liberté. Elle avait coûté 347 livres : 300 livres pour la charpente, 30 livres pour le couteau, 7 livres pour la corde qui maintenait ce dernier et 10 livres représentant l'aiguisage de la lame. Le bourreau en place sous la royauté fut maintenu après quelques démêlés avec le pouvoir central. Il se nommait Faroux et recevait pour son travail 2.400 livres par an.

 

Dès le lendemain, les exécutions commençaient, il y en eut 15 du 23 novembre au 9 décembre. Et puis, il fallut se rendre à l'évidence, la guillotine très rudimentaire dans sa fabrication, remplissait mal son office : le couperet étant trop léger. A tel point que le 11 décembre la municipalité de Feurs écrivait : « qu'elle avait demandé l'exécuteur et commandé des ouvriers pour faire jouer les ressorts de la guillotine et ne point blesser les droits de l'humanité en satisfaisant la vengeance nationale ». Cela voulait dire en clair que la lame ne coupait pas la tête des condamnés proprement et qu'il fallait donc, soit faire retomber le couperet plusieurs fois, soit achever à la main le travail de la machine. J'ajouterai, que si la guillotine parisienne possédait une planche verticale sur laquelle on attachait le condamné et qui le précipitait automatiquement sous la lunette, à Feurs, il fallait que de lui-même, en se mettant à genoux, le condamné place sa tête dans l'ouverture. A la suite de ces déboires, la fusillade remplaça dans la plupart des cas, à Feurs, le système de la guillotine qui fut remisée tout à côté du bureau de Javogues.

 

Celui-ci revint de Mâcon et le 17 décembre 1793, il était à Saint-Etienne. Après s'être installé dans une belle maison de la ville, il s'occupa de suite de l'instauration d'une taxe sur les riches, imitant en cela une mesure prise, le mois précédant à Lyon enfin reprise par révolutionnaires. L'arrêté déclarait que « tous les citoyens infirmes, orphelins, indigents, doivent être logés, nourris et vêtus aux dépens riches de leur canton respectif ».

 

La taxe qui était proportionnelle à la fortune et à l'incivisme des individus, devait aussi servir à fournir du travail aux hommes valides, municipalités reçurent l'ordre de dresser des tableaux de citoyens fortunés. Javogues hâta le mouvement et, sous sa présidence, le 23 décembre 1793, s'ouvrit à Saint-Etienne une séance publique dans elle fut établie la liste des riches de la ville ; elle contenait 80 noms. A cette séance, fort longue, elle dura de 18 heures à 3 heures matin, assistait un ingénieur des Ponts et Chaussées, M. Busson, révolutionnaire bon teint. Ce dernier, ahuri par la tournure des débats, écrivit au citoyen Pache, maire de Paris, pour dénoncer le comportent de Javogues. Voici le texte de cette lettre publiée à différentes reprises et en particulier dans l'ouvrage de M. Tezenas du Montcel « Le Forez sous la Terreur ».

 

« Je veux te faire part de la conduite scandaleuse du représentant peuple Javogues qui a été envoyé ici pour restaurer l'esprit public et faire punir les traîtres qui ont conspiré avec les Lyonnais. Je m'en vais te faire une esquisse de l'orgie au milieu de laquelle il a fait la taxe révolutionnaire sur les riches. II se rendit à 6 heures du soir dans la salle des séances de la Commune. Le corps municipal était assemblé; il y  avait un grand nombre de spectateurs. Il était gris comme un Cordelier. Il fit asseoir à côté de lui une jeune et jolie fille. Il demanda de la bière et donna ordre qu'on en alla chercher dans la cave du citoyen Vincent qui est dans les prisons. On fit plusieurs voyages et il se but dans la salle environ 30 bouteilles tant bière que vin. Javogues, les officiers municipaux et ceux qui étaient de nos amis mangeaient du saucisson avec du pain blanc qu'on avait saisi chez un boulanger, buvant de la bière et du vin à la barbe du peuple qui humait les sermons du représentant. Les officiers municipaux et nos amis se jetaient de petites boules de pain blanc à la figure pour s'amuser. Un des spectateurs vuolut faire des observations à Javogues sur les taxes arbitraires qu'il faisait ; il cria au chef de la garde révolutionnaire : « Sacré mille foutres, arrêtez-moi ce bougre-là que je le fasse fusiller ».

 

La citoyenne Fressinette qui a mené et mène une vie libre étant instruite qu'on l'avait taxée à un taux qui excédait sa fortune, accourut séance pour faire une représentation à Javogues qui lui dit à haute : « Tu es une garce, une sacrée p... Toutes les femmes sont des sacrées p... ».

 

Il embrasse plus de cent fois la jeune fille qui était assise à côté lui, il lui porta la main sur le sein, elle lui flanqua un bon soufflet en disant : « Comment, toi, qui es un représentant du peuple, tu t'oublies à ce point-là ? ». Et, lui répondit : « Foutre, vois-tu bien, je ne ferai pas de mal en prenant 100 tétons qu'en volant un sou de 6 liards ».

 

Et le vertueux M. Busson continue : « Je ne crois pas que de pareilles orgies soient bien propres à régénérer les mœurs. Il y a plusieurs gueuses qui vont voir le citoyen Javogues qui prend ses ébats avec elles, il y a une de ces gueuses dont la fille appelle Javogues son papa. Javogues avale le vin vieux des riches que nos armes ont vaincus, il couche dans leurs beaux lits, voyage dans leurs belles voitures, lui que j'ai vu arriver ici à cheval avant la prise de Lyon, il folâtre avec leurs maîtresses. Est-ce ainsi qu'on régénère les mœurs d'une nation corrompue ? »

 

Cette lettre nous donne en un résumé pittoresque une description précieuse du comportement de Javogues et nous fournit des indications importantes sur son caractère.

 

Cependant, la taxe fut levée. En gros, elle laissait seulement 100 000 livres aux riches mariés et 50 000 aux célibataires. Mais il y a loin de la théorie à la pratique. Sur les millions réclamés par Javogues, il rentrera à peine 500 000 livres dont 70.000 seulement iront aux indigents. Du moins, ces derniers auront-ils l'impression qu'on cherchait à les sortir de leur misère.

 

Parallèlement à cette recherche d'argent, Javogues, obéissant en cela à une loi, se hâta de réunir tous les biens d'église du département pour les envoyer à Paris. Inutile de dire que les fidèles se chargèrent de soustraire une grande partie des objets du Culte parmi les plus précieux. Mais notre représentant réussit quand même à remplir plusieurs caisses de calices, ciboires, ostensoirs...

 

Nous avons vu qu'à Feurs la guillotine fonctionnait mal mais cela ne lui faisait en rien perdre de son prestige. Aussi fut-il organisée le 30 décembre 1793, à Saint-Etienne, la Fête de la guillotine pour donner aux Stéphanois le plaisir de connaître et de contempler le sinistre instrument.

 

Cette fête ordonnée par Javogues se déroula en grande pompe. On fit venir la guillotine de Feurs pour une journée, et, au son de la musique, on exécuta sur la grand'place des mannequins bourrés de son représentant les rois, le Pape et même la ville de Toulon qui venait d'être reprise aux Anglais. Tout cela se termina par des chants et des chants et des danses et la guillotine retourna à Feurs où la fusillade avait pris le relais. Le 17 décembre, eut lieu la première exécution en masse, à l'endroit où fut élevée en 1826 la chapelle expiatoire. Cette fusillade fut particulièrement cruelle car les condamnés ne moururent pas sur le coup, malgré plusieurs décharges tirées par des maladroits, et, comme les soldats n'avaient pas de cartouches de rechange, il fallut aller en chercher pendant que les blessés gémissaient sur le sol. Les exécutions se succédèrent en décembre et en janvier. Les pelotons d'exécution étaient formés des membres de l'armée révolutionnaire créée par Javogues. Cette troupe était parfaitement illégale puisqu'une loi du 26 décembre 1793 en ordonnait la dissolution. Mais notre homme n'entendait pas se séparer de ce précieux outil de travail, aussi le garda-t-il en se contentant de rebaptiser sa troupe « garde nationale ».

 

Javogues semblait vraiment grisé par son pouvoir qu'il croyait illimité. Dans une lettre du 30 décembre, il s'élevait avec fureur contre les juges de Feurs qui, en son absence, s'étaient permis de montrer quelque clémence. Il les menaçait : « Je vous défends de juger aucun criminel jusqu'à ce que je sois arrivé à Feurs. Tenez-vous à votre poste sans juger pour que mes oreilles ne retentissent pas de vos iniquités ». Et iI donnait l'exemple puisque, le 15 janvier 1794, il tirait hors des prisons de Saint-Etienne 50 détenus. De bon matin, dans la neige, attachés par une corde prise au clocher de la Grand'Eglise, les prisonniers furent emmenés en une première étape jusqu'à Montbrison, pour être ensuite dirigés sur Feurs. Parmi ces prisonniers on trouvait d'anciens notables, des prêtres réfractaires, mais aussi de simples personnes du peuple. Toutes ces personnes âgées pour la plupart, souffrirent extrêmement de ce voyage.

 

Les témoins de cette affaire et Barthélémy Drevet en particulier, décrivent « Javogues en grande tenue, ceint d'une écharpe tricolore, de hautes bottes, un long sabre au côté, avec une figure congestionnée au regard soupçonneux, et un air à la fois curieux et craintif de la bête traquée. Incapable de rester en place, il se promenait de long en large attendant la venue des suspects qu'on extrayait des différentes prisons de la ville ».

 

Nous venons de parler de Barthélémy Drevet, c'était un artisan menuisier, bourgeois de la ville de Saint-Etienne. II nous a laissé un journal allant de 1789 à 1795 et il va nous donner, lui aussi, un témoignage très intéressant sur le comportement de Javogues. Mais aupavant, il faut le situer par rapport à notre personnage.

 

A la différence de M. Busson dont nous avons cité la lettre, Barthélémy Drevet n'était pas un Jacobin. Son fils Jacques avait quitté Saint-Etienne avec le Maire, Praire Royet, pour suivre l'armée des Lyonnais. Fait prisonnier, il fut mis en captivité à Lyon, Barthélémy Drevet, accompagné de sa fille Louise, alla lui rendre visite le 4 décembre 1793. Ils lui parlèrent et prirent rendez-vous pour une autre entrevue. Le lendemain, ils se présentèrent donc à la porte de la prison. Mais à 10 heures, celle-ci

 

S’ouvrit pour laisser le passage à un convoi de prisonniers parmi lesquels ils reconnurent Jacques. Ils suivirent la colonne jusqu'au pré des Brotteaux. Là, les prisonniers furent attachés deux par deux à un arbre. Une salve tirée par une compagnie de fantassins, tous les captifs furent tués. Louise s'échappa pour embrasser le corps de son frère mais un soldat la frappa d'un coup de crosse, elle tomba évanouie et 8 jours après, elle était morte. En une semaine, Barthélémy Drevet avait perdu 2 de ses enfants. Aussi, n'aimait-il guère les révolutionnaires. Comme de plus, il était aisé, il fut convoqué le 1er février 1794 « manu militari » au bureau de Javogues. Laissons-lui la parole :

 

« Javogues est installé dans la belle maison d'Antoine Neyron de la rue Neuve. Je me sens triste de voir cette demeure livrée à des soldats qui ne respectent ni les meubles ni les lambris et laissent partout des crachats et des taches de vin. Je  pénètre enfin dans une grande salle où j'assiste à un spectacle inattendu. Javogues en tenue débraillée, le visage rouge, les yeux hors de la tête, distribue des coups de poings à un groupe de 2 ou 3 hommes qui reculent sans riposter et crie de temps à autre, d'une voix que la colère enroue : « Ah ! bougres, bougres ». Mais, quand ils ont réussi à gagner la porte, il a un large rire silencieux et se tourne vers la cheminée où flambe un grand feu et près de laquelle est assise une femme encore jeune qui tient un enfant sur ses genoux. Je l'ai rencontrée quelquefois : c'est Marguerite Fourneyron, autrement dit « la Merlasse » qui accompagne partout le conventionnel. Javogues saisit sur la cheminée un sac de papier où se trouvent des pralines et en met une dans sa bouche. Puis il fait 2 ou 3 tours dans la salle, en long et en large, le front penché, l'air absent. Enfin il daigne m'apercevoir, vient brusquement à moi et me pose les mains sur les épaules : « Ah ! c'est toi bougre d'aristo, tu as dit, paraît-il, un jour que tu voulais me connaître. Eh bien ! moi aussi, je ne suis pas fâché de te voir. Tu me parais bien gras pour un sans-culotte. Je suis sûr que tu caches de l'argent chez toi et que tu as, comme tu en veux, du lard, du beurre et du fromage. Regardez-moi ces joues. » Et le voilà qui me tapote le visage. « Est-il vrai que tu as tenu de mauvais propos ? Mais ! Veux-tu bien te taire ! Tu as un fils qui a servi ces canailles de Lyon ». I! me secoua vigoureusement.

 

Soudain, tout près de moi, une voix furieuse se fait entendre : « Voulez-vous bien laisser mon grand-père tranquille ? ». C'est Jac­queline, tout vibrante et plus belle que jamais dans sa tenue du matin. De surprise, Javogues m'a lâché : « Sais-tu à qui tu parles ? ». Elle se plante à côté de moi : « Tu es le citoyen Javogues ». « Et c'est ainsi que tu apostrophes un délégué de la Convention ? Tu n'a pas peur de voir ton joli cou passer sous le rasoir national ? » Elle répliqua hardi­ment : « Citoyen Javogues, pourquoi ferais-tu cela ? Est-il défendu d'aimer son grand-père ? Tu es un conventionnel, c'est vrai, mais tu as un cœur comme tous les hommes. Tu as un père, une mère, tu dois les aimer ».

 

Je vois comme un frémissement passer sur le visage du proconsul. A ce moment, la Merlasse intervient d'une voix douce : « Laisse donc tranquille ce pauvre vieux ». Javogues se retourne vivement : « Toi, mêle-toi de tes affaires ». Puis s'adressant à Jacqueline : « Je vois bien que tu es une petite aristocrate — Aristocrate ? — Oui, voyons, es-tu une bonne républicaine ? — Elle élude la question : « Je suis fiancée à un bon républicain — Ah Ah ! où est-il ? — II est à l'armée en train de nous défendre. On vient de le nommer lieutenant pour avoir contribué à la délivrance de Toulon — Voilà qui est mieux, écoute ma petite, je vais te le rendre ton grand-père. Mais auparavant, tu dois trinquer avec moi ! » Javogues s'approche d'une table bien garnie, tend à Jacqueline un verre qu'il remplit jusqu'au bord, se sert ensuite : « A tes amours, citoyenne ! — A ta santé, Javogues ». Et, Jacqueline qui, à la maison ne boit que de l'eau, vide son verre d'un trait. Le proconsul la regarde avec complaisance : « Tu as bu comme une vraie sans-culotte ! » Il revient à moi : « Va t'en !» Et il fait comme un geste du pied. Mais Jacqueline m'a pris le bras, elle esquisse une révérence à Javogues et nous sortons avec beaucoup de dignité.

 

Avec ce vivant récit, on découvre une fois de plus un Javogues coléreux, à la nature violente qui ne supporte pas la contradiction. Capable de s'emporter et de distribuer coup de poing et coups de pied, ponctués de paroles grossières, il lui arrive aussi d'effectuer un revirement complet et de montrer une certaine humanité pour peu qu'on lui prodigue des paroles qui lui plaisent.

 

Un autre homme a approché de près notre personnage : c'est Barge, secrétaire de mairie à La Valla. Qui était Barge ? A la lecture ses mémoires, on peut lui accorder l'épithète de malin. Il arrangeait tout, connaissait les lois, et par la ruse soustrayait des prêtres réfractaires ou des objets du culte à la convoitise révolutionnaire. Voici une anecdote qui en dit long sur sa façon d'agir :

 

Javogues et surtout son procureur à Saint-Chamond, le dénommé Bourgeois, étaient très en colère contre les habitants de La Valla qui n’apportaient pas au marché les denrées suffisantes pour nourrir la Ville. Javogues parlait de faire fusiller tous les habitants de La Valla. Comment réagit Barge ? Il descendit à Saint-Chamond et, adroitement, fit comprendre au terrible procureur qu'il lui apporterait chaque quinzaine, de quoi fournir sa table en bons repas. Bourgeois s'apaisa aussitôt on ne parla plus de l'incident.

 

En février 1794, avec quelques autres habitants de La Valla, Barge descendit à Saint-Etienne pour faire signer des papiers à Javogues. Il arriva vers midi. Le proconsul venait de se lever et était de fort mauvaise humeur. Laissons parler le secrétaire de mairie : « Nous attendîmes une demi-heure puis nous nous présentâmes. Pour toute réponse à notre demande, il nous passa dehors de sa chambre à coups pied et de poing... De suite, le nommé Fontvieille nous fit mettre nos chapeaux à trois cornes et tourner nos habits à la militaire, et nous nous présentâmes de nouveau, ainsi accoutrés, à cet homme si terrible...

 

La chambre où était logé Javogues était très vaste, mais encombrée de monde, en grande partie des pauvres de la ville qui venaient se plaindre des riches et de leur misère. Javogues les écoutait, il allait et venait, de la cheminée à la fenêtre, prenant de temps en temps une praline dans un gros sac qui se trouvait sur la cheminée. Il distribuait en allant et venant quelques coups de pied ou de poing aux assistants, toujours jurant ou pestant contre quelqu'un.

 

Fontvieille lui fit sa demande en lui présentant les papiers qu'il devait signer. Javogues les prend alors et en bat les joues de Fontvieille et comme son camarade Jean avait bonne mine, il le saisit par le menton, lui imprimant ainsi ses dix ongles dans la figure, en lui disant : Ah ! bougre de gueux, tu manges tout ton lard, ton beurre, tes fromages et tes poulets, c'est pour ça que tu es si gras, mais j'ai un petit cœur de tigre et je te dévorerai ». Après quelques bourrades distribuées aux uns et aux autres il nous renvoya avec nos papiers signés enfin ».

 

Mais les nuages s'amoncelaient sur la tête de Javogues. Car, les plaintes affluaient à Paris, stigmatisant ses exactions et ses incartades. Et c'étaient les Jacobins eux-mêmes qui envoyaient au Comité de salut public leurs plaintes, demandant d'ouvrir une enquête sur ses agissements et de le rappeler à Paris. La Convention somma Javogues une première fois le 21 janvier, une deuxième fois le 29, rien n'y fit. Notre personnage complètement inconscient, au lieu de s'amender et d'obéir aaux ordres, envoyait lui aussi lettre sur lettre à Paris pour mettre tout monde en accusation. Et là, il alla trop loin car il s'en prit en termes violents à Couthon. Le 1er février 1794, il écrivait : « Ah ! Couthon, tu n as jamais cherche le bonheur du peuple, avec le mot de justice sur les lèvres, tu n'as que l'iniquité dans le cœur ». Le 4 février, il récidiva en expédiant une autre lettre incendiaire vers la capitale.

 

Or, Couthon était un homme très important, ami intime de Robes­pierre. Député d'Auvergne, il jouissait d'un grand prestige parmi les collègues. Il souffrait d'une paralysie des membres inférieurs. Aussi, en 1794, ne se mouvait-il que dans un fauteuil roulant. Dès qu'il apprit les termes de l'accusation portée contre lui par Javogues, il monta furieux à la tribune, se justifia aux applaudissements de l'assemblée et accusa Javogues qui, une fois de plus, fut décrété d'accusation.

 

Le mandat d'arrêt arriva à Lyon le 11 février 1794 et le lendemain matin le 12, deux commissaires, Marine et Delan, partirent pour Feurs avec mission de ramener Javogues. Ils n'en menaient pas large, connaissant le caractère emporté du proconsul. Contre toute attente, tout se passa bien et il suivit les deux envoyés à Paris. La veille, il avait encore assisté à une exécution de 28 prisonniers « se prélassant dans un magnifique équipage entre deux déesses raison ».

 

En tout, sous sa dictature, à Feurs, 64 victimes furent livrées à la guillotine ou à la fusillade. Seize prisonniers périront après son départ, ce qui porte aux environs de 80, le nombre des victimes exécutées à Feurs même. Plusieurs habitants de la Loire furent par ailleurs déportés dans les prisons de Lyon et tués dans cette ville. Parmi ceux-ci on compte 17 Saint-Chamonais.

 

Javogues partit donc pour Paris et là, il réalisa tout de suite la portée de son imprudence qui risquait bel et bien de le conduire à l'échafaud.

 

Aussi commença-t-il à faire le gros dos et, le 19 avril 1794, eut lieu à la Convention la réconciliation, réglée sans doute d'avance, des deux hommes. Couthon fut le grand triomphateur et Javogues dut lui faire les excuses les plus plates ; « j'ai eu le malheur de céder aux insinuations perfides, j'ai outragé mon collègue dans une proclamation que je désavoue, que je rétracte... ».

 

Jusqu'au 27 juillet 1794, c'est-à-dire le 9 Thermidor, on n'entendra plus parler de Javogues. Le 10 Thermidor, son ennemi Couthon était exécuté. Mais la dissension ne tarda pas à se manifester parmi les opposants à Robespierre qui se scindèrent en Thermidoriens de droite et Thermidoriens de gauche. Javogues faisait partie de ces derniers qui souhaitaient le retour de la Terreur. Mettons nous à sa place, il avait connu la puissance et il était ravalé au rang des obscurs. Il ne pouvait même plus retourner dans son pays où ses parents étaient victimes, journellement, de menaces, d'insultes, voire de violences. Alors il se lança dans l'extrémisme. Tous ses efforts échouèrent, il fut emprisonné puis relâché au gré des factions qui, tout à tour, détenaient le pouvoir. Sa dernière aventure, il la vivra en temps qu'adepte de la philosophie de Gracchus Babeuf dont on a fait un ancêtre des marxistes. Il préconisait, en effet, l'abolition de la propriété, les salaires basés sur la valeur du travail...

 

La France était alors passée sous le régime du Directoire. Et Javogues va se retrouver avec d'autres aigris comme lui ; Drouet (de l'arrestation du roi à Varennes), Rossignol, Cusset, Babeuf naturellement quelques autres. Que voulaient-ils ? Renverser le Directoire et mettre en place un régime inspiré des doctrines babouvistes où ils auraient été les maîtres. Pour cela, il fallait l'appui de l'armée. Les conjurés pensaient pouvoir l'obtenir, d'autant plus, comme l'écrit Poujoulat, un historien du siècle dernier, que Barras « Soit pour mieux perdre les Jacobins, soit pour se mettre en mesure de profiter au besoin de leur victoire, semblait s'associer mystérieusement à leur dessein ».

 

Mais la police veillait. Une première série d'arrestations eut lieu, Javogues y échappa. Drouet fut emprisonné puis « s'évada », en réalité, la porte de sa cellule avait été ouverte par ses gardiens. Les conjurés qui restaient en liberté ne désarmèrent pas et essayèrent une dernière tentative de débauchage de l'armée au camp de Grenelle qui abritait 10 000 soldats commandés par le Colonel Malo. Il semble bien que cette dernière tentative ait été l'effet d'une manipulation, d'une provocation de la police.

 

Dans ses mémoires, Barras le reconnaît : « Tout était éventé depuis plus de 15 jours et la police de Carnot avait tout concerté pour recevoir les malheureux et les exterminer ». Michelet ajoute : « Le colonel Malo, pour faire croire que tout cela n'était pas préparé, attendait armé jusqu'aux dents mais en chemise comme un homme qui n'aurait pas eu le temps de s'habiller ».

 

Ce qui devait arriver arriva, les conjurés au nombre de deux ou trois cents furent tués ou capturés. Javogues, qui avait pu se réfugier dans une auberge, fut appréhendé le lendemain matin seulement. On mena rondement le procès, Javogues écrivit à Carnot pour demander clémence mais celui-ci, une ancienne connaissance pourtant, ne lui pondit même pas. On le condamna à mort, sans avoir oublié d'évoquer durant son procès les agissements qu'il avait eus dans le département de la Loire. Il mourut courageusement, à 11 heures du matin, le 19 Vendémiaire, c'est-à-dire le 10 octobre 1796. II avait 37 ans et 2 mois.

 

A l'annonce de sa mort, les villes de Lyon et de Feurs illuminèrent en signe de joie.

 

L'épilogue de cette période, tumultueuse pour notre département, se situera à Feurs, en 1824, lorsqu'on procédera à l'érection d'une chapelle pour recueillir les restes des victimes de la révolution. Ces restes seront transportés et ensevelis, sous la dalle du chœur, en 1826, L'architecte saint-chamonais Grangier prit part au projet de la construction.

 

                                                                                             Georges DURANTON (+)