Melchior Mittes de ChEvrières


Portrait :

 Mre Melchior Mitte de Miolans, Seigneur de Chevrières, Marquis, Chevalier des ordres du Roy, Conseiller  en ses conseils, Gouverneur  pour le Roy en pays de Lyonnois, Forez et Beaujolois.

                                                        de la Tour Varan -1840-



Melchior Mitte de Chevrières

Marquis de St-Chamond  (1586- 1649)

 

En Melchior Mitte de Chevrières, marquis de Saint-Chamond et de Montpezat, comte de Miolans et d'Anjou, premier baron de Lyonnais et de Savoie, chevalier des deux ordres du Roi, conseiller du roi, lieutenant-général de ses armées, trois personnages apparaissent : le soldat, le diplomate, le bâtisseur.

Lorsqu'on 1615, à peine âgé de 29 ans, il prend le commandement d'un régiment de 1200 hommes devant Nevers, il semble aussi à l'aise que dans les discussions philosophiques et théologiques auxquelles l'ont formé ses études au Collège des Jésuites d'Avignon et dans les Universités romaines. C'est qu'il compte dans ses ancêtres une lignée de combattants de marque : son arrière-grand-père, Antoine Desprez, seigneur de Montpezat, maréchal de France ; son grand-père, Christo­phe de Saint-Chamond qui, lui aussi, mériterait bien une étude détaillée et qui exerça des commandements en Languedoc (1543), en Piémont (1551), en Milanais (1555), en Auvergne (1568), en Vivarais (1574-1575), sans parler des combats qu'il livra dans notre région contre le baron des Adrets et qui le firent surnommer le « fléau des Huguenots » ; enfin son père, Jacques de Miolans qui s'illustra au siège de La Rochelle (1573), à Issoire (1577), à la Mure (1580), à Nimory et à Auneau (1587). Melchior devait recueillir ce lourd héritage de loyalisme et d'héroïsme et l'accroître encore de son apport personnel. « Et cruci et liliis », fidèle à son Dieu, fidèle à son Roi, c'est là toute sa devise et son programme.

 

Après son baptême du feu devant Nevers, nous le trouvons aux côtés de Louis XIII au siège de Saint-Jean-d'Angély, où il entend de la bouche du Roi cet éloge de sa témérité : « Vous venez de faire une bonne folie, mais je vous en sais bon gré. » Le Roi lui donne alors un commandement dans l'armée du Languedoc en qualité de maréchal de camp sous les ordres du prince de Condé. En 1622, il combat à Valence, Orange, Montpellier (où il établit un hôpital pour les blesses). Pour le récompenser de son fier courage au siège de La Rochelle (1628) où, en dépit de ses blessures et au mépris de sa propre vie, il pénètre le premier à la tête de ses troupes, le roi le nomme gouverneur de la ville. Ce sont ensuite les campagnes de Trêves et de Nancy (1633). Sa valeur militaire est partout indiscutée. Turenne, qui s'y connaissait en mérite de guerre, dira de lui plus tard : « C'était un grand capitaine, sous qui j'ai commencé à combattre et qui m'a appris à commander. »

Tour à tour les honneurs — notamment le titre de marquis (1610) et le collier de l'Ordre du Saint-Esprit (1613) — et les charges s'accumulent sur ses épaules : lieutenant du Roi en Lyonnais, Forez et Beaujolais (1612), conseiller du Roi en ses Conseils d'Etat et privé (1613), lieutenant-général en Provence (1632), lieutenant-général des armées royales (1633), commandant des Trois-Evêchés (1633), commandant en chef de la Provence (1634).

A peine connut-il la disgrâce, si fréquente en ces années troubles où les cabales, les intrigues et les complots devenaient pain quotidien, et encore eût-il été hautement réhabilité si la mort n'était venue le surprendre à Paris, en son hôtel de la rue Saint-Denis, le 10 septembre 1649, au moment même où le roi allait lui confier la plus haute charge du royaume, celle de Ministre d'Etat.

Il est coutume d'opposer les qualités du Militaire à celles du Diplomate et de dire qu'un chef d'armée valeureux ne peut être un habile ambassadeur. L'homme qui est habitué à la rude vie des camps peut-il se plier aux manières policées des salons ? Celui qui, à longueur de journée parle comme un chef, dicte ses ordres, peut-il se résoudre à voiler ses intentions et se contenter de soumettre des suggestions, en un mot l'esprit de géométrie peut-il s'allier à l'esprit de finesse? En règle générale ces questions appellent une réponse négative, mais toute règle souffre des exceptions. Melchior Mitte de Chevrières en est une. Tout en se montrant militaire dans l'âme, il sut être un excellent diplomate.

 

Vingt-trois ambassades extraordinaires lui sont confiées au cours de sa carrière. Citons-en quelques-unes : Mantoue (1627), Bruxelles (1631), Trêves (1632), Londres (1632)... Ses ennemis, jaloux de la confiance dont il est honoré en haut lieu, le discréditent auprès du roi : Melchior se retire dans son château, mais il est bientôt rappelé à la Cour pour être ambassadeur en Allemagne. Les négociations qu'il s'agissait de mener à bien semblaient « impossibles à désespérer et on n'en pouvait venir à bout que par la dextérité de M. de Saïnt-Chamond » : ce sont les propres expressions de Louis XIII. Melchior reste plus de deux ans en Allemagne (1635-1637), réussit à conclure une alliance avec les protestants qui devait hâter la fin de la guerre de Trente Ans et la signature du glorieux traité de Westphalie... Une dernière mission lui est confiée en 1644 : celle de réconcilier le Pape et les républiques italiennes. Au cours de son séjour, le Pape Urbain VIII vient à mourir. Melchior s'emploie, sur l'ordre de son gouvernement, à écarter de la succession au trône pontifical le candidat qui passe pour favorable à l'Espagne : il n'y réussit pas et se voit, pour ce motif, disgracié et immédiatement rappelé en France.

Qu'il fût au sommet des honneurs ou au contraire humilié par ses adversaires, il resta toujours égal à lui-même « sans peur et sans reproche » convaincu d'avoir agi selon sa conscience, de n'avoir jamais forfait à l'honneur et ne tentant même pas de se justifier. « L'on ne peut Juger — déclare un de ses biographes — s'il a été plus Illustre dans l'action que dans le repos ; sa constance dans les adversités l'a rendu autant admirable dans sa maison que la pratique des autres vertus dans la Cour et dans les emplois... ».

 

Cet homme, que sollicitaient tant d'intérêts supérieurs, n'en oubliait pas pour autant sa petite patrie.

Sans parler des embellissements qu'il apporta à son château qui couronnait la ville haute et à différents quartiers de la cité (c'est à lui que l'on doit notamment la place Marquise — aujourd'hui place de la Liberté —, la rue du Rivage, la place de la Croix-de-Beaujeu — aujour­d'hui place de l'Egalité — et le pont Isabeau, à proximité de l'Hôtel-Dieu), il contribua à édifier à Saïnt-Chamond trois couvents et trois églises.

Il achève en 1608 le couvent des Capucins commencé sept ans plus tôt par son père. C'est grâce à son appui également que les Religieuses Ursulines, en 1616, peuvent envisager la construction de leur monastère en bordure du Janon. Il s'Intéresse enfin et participe à l'établissement du Couvent des Minimes (1622-1624) fondé par Gabrielle de Gadagne, seconde femme de son père : l'Hôtel de Ville actuel occupe l'emplacement de ce couvent et en a gardé quelques vestiges, la façade et le cloître notamment.

 

En décidant de construire l'église Saint-Pierre (1608-1609), Melchior ne faisait qu'exécuter la promesse de son grand-père, Christophe de Saint-Chamond qui, pour étendre les fortifications de son château, s'était vu dans l'obligation de démolir l'ancienne église. Près d'un demi-siècle s'était écoulé entre le vœu et son accomplissement, longue période pendant laquelle les paroissiens de Saint-Pierre se réunissaient soit dans la petite chapelle Sainte-Barbe située à l'emplacement du chœur de l'église actuelle, soit dans les bâtiments des halles publiques (la grenette). Que reste-t-il de l'église construite par Melchior ? Le plan d'ensemble de la nef et des chapelles (à cette différence près que le plafond en a été exhaussé en 1675), le clocher (1617-1645) et le bourdon (1646) dont il fut le parrain et dont sa femme, Isabeau de Tournon, fut la marraine. Chacun des siècles suivants a apporté sa contribution à l'embellissement de l'édifice : du XVIIIe date le chœur, qui en est le joyau et a été classé « monument historique » par une décision du Ministère de l'Education Nationale ; du XIXe datent la chaire, la tribune, les orgues et l'architecture intérieure de la nef avec ses doubles colonnes engagées et cannelées, ses chapiteaux coniques supportant l'entablement et ses successions d'arcs en plein cintre qui donnent à la nef tant d'harmonie et d'élégance.

Ces additions fort heureuses n'empêchent que l'initiative et l'exécution du gros œuvre de l'église doivent être attribuées à Melchior et qu'on y retrouve la marque de l'étudiant romain épris des splendeurs de la Renaissance italienne.

Après la construction de l'église Saint-Pierre vint celle de l'église Notre-Dame. Il existait depuis fort longtemps une église appelée Notre-Dame de Pontcharrat. Construite en effet sur un pont franchissant le Gier à proximité de la rue des Portes (rue Alsace-Lorraine). Aux termes d'une transaction conclue entre le seigneur de Saint-Chamond et l'Ordre des Antonins (Î617) cette église était cédée aux religieux en échange du pré Saint-Antoine (qui devint place Marquise, puis place Notre-Dame, enfin place de la Liberté) : c'est dans un angle de ce pré que Melchior construisit l'église, payant de ses deniers la nef et laissant aux paroissiens et aux membres des confréries le soin d'édifier et d'orner les chapelles. Cette église fut malheureusement entièrement rasée au XIXe siècle pour faire place à l'église actuelle ; on ne sut même pas garder les élégantes boiseries du XVIII siècle qui ornaient le chœur à la perfection.

Mais la construction qui tint le plus à cœur au seigneur de Saint-Chamond et à laquelle il consacra une partie de sa fortune fut celle de la Collégiale Saint-Jean-Baptiste. Melchior avait une singulière dévotion pour les saintes Reliques et en particulier pour la Relique de saint Jean-Baptiste, apportée à Saint-Chamond par Gaudemar Ier de Jarez au retour de la quatrième Croisade (1204) : il voulut lui offrir un écrin somptueux. L'emplacement choisi pour la construction de la collégiale — les pentes abruptes .de la colline de Saint-Ennemond — montre que le seigneur ne se laissait pas arrêter par les difficultés d'une entreprise.

Il fallut, avant d'élever les murs, entailler le rocher et accomplir des travaux de terrassement considérables. Après les terrassiers, les différents corps de métier entrèrent en action. Les travaux durèrent sept ans : deux cents ouvriers y furent employés à partir de 1635, quatre cents à partir de 1637 et l'ouvrage ne fut achevé qu'en 1642.

 

Le plan de l'église était simple et original tout à la fois : un quadrilatère avec abside sur chacun des côtés, l'abside arrière étant plus profonde que les autres, ou encore une croix latine dont la branche la plus longue constituait le chœur des chanoines, la tête de la croix se trouvant à l'entrée ; l'autel était placé presqu'au centre de l'église, en avant du chœur ; tout autour de l'église couraient des tribunes soutenues par des arcades ogivales; les voûtes ainsi que les arcs supérieurs des tribunes étaient à plein cintre. L'ensemble devait être du plus bel effet et l'on comprend la fierté qu'éprouvaient nos ancêtres à posséder dans leurs murs un tel monument : peut-être cependant exagéraient-ils quelque peu lorsqu'ils le comparaient à Saint-Pierre de Rome. De toute cette architecture il ne reste plus aujourd'hui qu'un pan de mur percé d'une fenêtre ogivale, et, à l'étage inférieur, le clocher ; du riche mobilier qui ornait la collégiale, seuls nous ont été conservés jusqu'à ces dernières années l'autel et le bénitier : ceux de la chapelle des Pénitents de Notre-Dame, aujourd'hui démolie.

Une gravure de 1644 nous donne une vue d'ensemble de la colline telle qu'elle apparaissait après la construction de la Collégiale. Un escalier monumental reliait la place Saint-Jean (place de la Fraternité) limitrophe du Janon à l'actuelle place de l'Observatoire ; de cette dernière place — dont le clocher de la Collégiale constituait le fond — par une rampe en fer à cheval on accédait à la terrasse du clocher qui servait de parvis à l'église. L'église elle-même se présentait en façade comme un assemblage de tours arrondies couronnées d'une balustrade. En arrière et au sommet se profilaient le grand mur de soutènement du château et la demeure seigneuriale elle-même avec ses terrasses crénelées. On ne peut nier que l'ensemble ne fût grandiose et ne composât un magnifique décor : le premier peintre de ce décor, c'est, sans conteste, pour la plus grande part, Melchior Mitte de Chevrlères.

Soldat, diplomate, bâtisseur, un seul de ces titres suffirait à justifier notre admiration et notre reconnaissance. Comment se fait-il que rien, à Saint-Chamond, ne rappelle son souvenir ? Serait-il téméraire, en terminant cet article, de former le vœu que soit donné à une rue ou à une place le nom de celui qu'on appelait jadis chez nous le « père de la patrie ».

                                                                                                 

                                                                                                   Mgr Joseph. SAPIN.